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Benoîte Groult: autobiographie d'une grande dame.

Benoîte Groult, une grande figure de notre époque. Elle aurait pu se complaire dans une vie bourgeoise bien tranquille, elle a fait de sa vie une longue marche dans la lutte pour la libération des femmes. Libérer les femmes des jougs coutumiers, politique, psychologiques, religieux ... qui les emprisonnaient et les emprisonnent encore. Car les vieux carcans idéologiques ont encore une assise très forte, partout dans le monde. Et plus particulièrement dans le monde musulman. Le passage que je vous livre, un entretien avec Josyane Savigneau, a trait à cette pratique horrible et inhumaine héritée de cette énorme supercherie planétaire qu'est l'islam, qu'il a lui-même hérité de pratiques sauvages d'un autre âge: l'excision. Si la réserve naturelle de Benoîte Groult l'empêche de s'en prendre de manière directe à la secte mahométane, elle nous parle avec son coeur et ses tripes de cette torture sortie tout droit du cerveau malade d'un guru psychopathe dont une des obsessions récurrentes, avec la haine des Juifs, est l'abaissement de la femme pour en faire juste un objet sexuel au service exclusif du mâle dominant, hissant à un degré inouï le dédain vis-à-vis des femmes, les rabaissant au rang d'animal et soupçonnées de toutes les tares et de tous les vices de la terre, uniquement parce qu'elles sont FEMMES.

Elle n'oublie pas non plus de s'en prendre aux « blancs » et à ceux qu'elle appelle « les prétendus sociologues » qui ferment les yeux pour ne pas voir les horreurs, en se persuadant hypocritement qu'ils ne doivent pas interférer dans « les coutumes des autres ». Même dans les situations les plus insupportables, Benoîte Groult sait nous gratifier aussi de sa petite pointe d'humour rafraîchissante. Un très grand merci, Madame!


Quelques extraits, qui vonr rappeler des souvenirs à mes amis norvégiens Jug Urten et Kaci Hamadi.

 

 

« [...] En fait, si j'ai voulu aborder ce problème, c'est parce que le monde des femmes, en Afrique et dans les pays arabes, c'était, c'est encore le monde du silence. On trouvait bien de-ci de-là quelques reportages de journalistes ou d'« explorateurs » sur ce qu'ils qualifient de « pittoresque coutume ». Mais le souffrance, l'asservissement physique et moral que représente cette pratique étaient toujours passés sous silence.

Je me souviens d'avoir lu à l'époque, dans une luxueuse revue d'Air France, la description d'une de ces « cérémonies d'initiation » en Haute-Volta (qui ne s'appelait pas encore Burkina-Faso), affirmant sérieusement que l'opération avait pour but de « parfaire la féminité des adolescentes ». En somme, on accroîtrait la féminité en rasant un organe spécifiquement féminin! Suivait un article où le même journaliste s'indignait du scandale des pauvres chiens abandonnés chaque été en France. Et personne ne s'interrogeait sur le scandale des enfants mutilés, car personne ne se souciait d'aborder un sujet aussi dérangeant et ... indécent!

Il est inexact de dire que les journalistes et les anthropologues étaient indifférents. C'est pire: ils étaient méfiants. S'ils se défendaient de toute compassion, de toute dénonciation de cette coutume, c'est que partout les hommes ont eu peur de toucher au rapport Hommes/Femmes. Là-bas, sous prétexte de respecter les coutumes; ici, parce qu'eux-mêmes n'ont pas réglé leur contentieux avec les femmes. Beaucoup de faits scandaleux sont ainsi restés ignorés, grâce à une immense conspiration du silence. On pense au viol, si longtemps nié ou dont on rejetait la responsabilité sur la victime; à l'inceste, aux femmes battues, à la pédophilie, etc. « Le silence est la forme la plus civilisée du génocide », écrivait Régis Debré dans Le Pouvoir intellectuel en France (1).

Plus subtile et plus néfaste encore a été l'argumentation des ethnologues qui furent cités comme témoins dans les affaires d'excision ayant entraîné la mort d'enfants dont a eu à connaître la justice française. Leurs arguments – respect des traditions locales, droit à la différence culturelle – ont conduit les juges, au début, à acquitter les prévenus. Pourtant, cette conception qui se targuait de respecter les ethnies (au point d'avoir été admise dans un premier temps par SOS-Racisme), conduisait à des dérives inquiétantes: l'idée que les droits humains puissent varier selon le sexe, la race ou la religion est, comme l'apartheid, une forme de racisme. Ce fameux DROIT à la différence était, pour les femmes mutilées, un DEVOIR de différence, le contraire d'une liberté. Si l'on considère les petites filles africaines comme égales aux nôtres, on doit les protéger également, quelle que soit leur couleur, contre toute atteinte à leur intégrité corporelle, et contre toute forme de torture (Article 3 de la Convention européenne des droits et les libertés fondamentales).

D'ailleurs, ce prétendu respect des traditions africaines, même les plus nocives, n'étouffaient les scrupules de personnes quand il s'agissait d'imposer aux peuples d'Afrique des « valeurs » autrement moins humanistes, telles que l'économie de marché, la monoculture aux dépens des cultures vivrières ou l'urbanisation à outrance.

Par une sorte de culpabilité d'anciens colonialistes, ce que Pascal Bruckner appelait « le sanglot de l'homme blanc », certains sociologues ou prétendus tels, ont même été plus loin. « L'exérèse génitale », comme ils disent sans frémir, aurait son intitulé: « L'enfant des pays civilisés, ignorant ce cheminement, semble avoir beaucoup de mal à franchir les diverses étapes de son existence. Loin d'aliéner l'individu, l'initiation l'aide donc à franchir les stades de son évolution sans heurts et sans refoulements. » (Robert Arnaud).

A signaler à nos thérapeutes: la clitoridectomie, facteur de santé mentale! Il faut préciser que sur ces cent millions de femmes et de petites filles mutilées, dans près d'un quart des cas, l'excision se double d'une garantie supplémentaire: l'infibulation ou « circoncision pharaonique (2) ». Elle consiste en l'arrachement des petites et grandes lèvres et la suture du sexe, aboutissant à une monstruosité anatomique, un espace lisse marqué d'un bourrelet cicatriciel rigide, ne laissant qu'un orifice unique et minuscule pour le passage de l'urine et du sang menstruel. On imagine les douleurs pendant la cicatrisation, les jambes liées durant trois semaines pour assurer la soudure du sexe; les douleurs lors des règles et lors de la pénétration par l'époux au soir des noces. Et les douleurs lors des accouchements, qui nécessitent une réouverture de la vulve puis une nouvelle suture pour assurer au mari un organe « propre ». J'ai assisté, avec Micheline Pelletier-Lattès, lors d'un reportage à Djibouti pour F Magazine, à cette terrible intervention. La toute jeune épouse – elle avait quinze ans – accouchait pour la première fois, mais elle pria l'obstétricien de la recoudre « bien serré » après l'accouchement, selon le désir de son mari. Le médecin de l'hôpital de Djibouti, un Français, se résigna à ce bouclage, sachant bien que la polygamie, les mauvais traitements ou la répudiation sanctionneraient toute insubordination.

Toute la vie sexuelle des femmes se déroulera ainsi, sous le signe du couteau ou de la lame de rasoir, « l'absurde clitoris », organe inutile à la reproduction et sans intérêt pour le plaisir du mari, ayant été effacé. Visiblement, il ne s'agit plus là d'une « initiation », mais d'une fixation masculine démentielle sur le sexe féminin qu'il importe de réduire à sa plus simple expression.

 

Les ratages opératoires, tels qu'hémorragies, septicémies, tétanos, fistules, faisant communiquer l'urètre avec le rectum et transformant la victime en infirme à vie, ne sont pas rares. Mais ils ne pèsent rien au regard du but recherché: « Calmer le tempérament de nos négresses » (dixit Yambo Ouologuem, malien licencié en philosophie et auteur du Devoir de violence). Il est vrai que cette pratique est souvent déclarée illégale aujourd'hui, mais elle a été recommandée, lors de l'indépendance, par de nombreux pays. Jomo Kenyatta, par exemple, en prenant le pouvoir, l'a rétablie le jour même de l'indépendance du Kenya.

(Josyane Savigneau) : - Vous avez résumé dans un paragraphe d'Ainsi soit-elle, toute l'horreur ressentie en découvrant cette torture: « On a mal au c... n'est-ce pas, quand on lit çà? On a mal au coeur de soi-même, on a mal à sa dignité d'être humain, on a mal pour toutes ces femmes qui nous ressemblent et qui sont détruites. Et on a mal aussi pour tous ces imbéciles d'hommes qui croient indispensable d'être supérieurs en tout et qui ont choisi pour cela la solution la plus dégradante pour les deux sexes: rabaisser l'autre. » Comment expliquez-vous qu'une coutume aussi désastreuse et aussi répandue semble n'avoir pas été dénoncée par les femmes et combattue par elles plus tôt?

- Il s'agit encore une fois de la grande conspiration du silence que nous avons évoquée. Tout se passe comme si l'oppression des femmes ne relevait pas du problème global de l'exploitation des plus faibles, mais exprimait seulement la manière qu'a chaque peuple de mettre « ses femmes » à la place qu'il leur a choisie. En fait, la société patriarcale - et elles le sont toutes – considère chaque femme comme la propriété de chaque homme, et son « champ génital », comme dit le Coran. Napoléon ne disait pas autre chose dans son Code civil! Si cette coutume a pu durer depuis tant de siècles, c'est parce que personne n'en parlait (3). Tous ceux qui savaient avaient choisi de se taire. Et que peut faire un esclave qui se croit congénitalement fait pour être esclave? [...]

 

1.      Publié chez Ramsey, en 1979.

2.      Ainsi nommée, car elle est décrite dans un papyrus trouvé en Haute-Egypte et datant de deux mille ans avant Jésus-Christ. Quatre-vingts pour cent des femmes sont infibulées au Soudan, en Ethiopie, à Djibouti, etc.

3.      Le professeur Minkowski fut un des rares à apporter son concours à nos actions.


 

Benoîte Groult, Mon évasion, autobiographie, édition Grasset & Fasquelle, juin 2010. N° ISBN: 978-2-253-12804-5
 

Disponible en Livre de Poche, n° ISBN: 978-2-253-12804-2



06/04/2012
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